Petit Panorama de la Culture Mathématique
par Yves Lafont
version du 8 septembre 2009
D'après le mathématicien Ronald Brown, les mathématiques sont une science de la description (on dit aussi modélisation), de la démonstration,
et du calcul. On peut les étudier pour
elles-mêmes, pour les
appliquer à d'autres sciences, ou comme un exercice de l'esprit.
Les principes fondamentaux de cette discipline remontent à
l'antiquité (arithmétique et géométrie) ou
au XVIIe siècle (mécanique et stochastique), mais la
recherche mathématique n'a jamais été aussi
vivante qu'aujourd'hui. Chaque réponse à un
problème donné
suscite en effet de nouvelles questions, et les applications de cette
recherche sont de plus en plus variées.
Principales branches des mathématiques
- L'arithmétique (ou théorie des nombres)
est sans doute la branche la plus ancienne des mathématiques. Le
calcul arithmétique est enseigné à l'école
primaire, mais l'arithmétique elle-même est un domaine
extraordinairement riche et complexe. Ainsi, un énoncé
élémentaire conjecturé par Fermat
au XVIIe siècle
ne fut démontré qu'à la fin du XXe siècle
(par Andrew Wiles),
et cette démonstration est bien loin d'être
élémentaire !
- La géométrie
est, à l'origine, une théorie de la mesure des longueurs,
des aires, et des angles. Plus généralement, c'est la
théorie du plan, de l'espace, et de toutes les formes qui
peuvent se concevoir au delà de notre espace à trois
dimensions. On apprend généralement à faire des
démonstrations dans le cadre de la géométrie
euclidienne,
en s'aidant de figures. Plusieurs notions fondamentales des
mathématiques,
comme la dimension et la symétrie, sont
d'origine géométrique.
- La mécanique est la théorie des forces et
des mouvements qu'elles induisent
(statique et dynamique). On peut aussi la
considérer comme une branche de la physique et comme une
discipline à part entière. Galilée
et Newton
furent les premiers à exprimer
les lois mathématiques du mouvement : c'est l'origine du calcul
différentiel
introduit par Newton
et Leibniz.
Depuis, la mécanique s'est rapprochée de la
géométrie : ainsi,
la théorie de la relativité générale
d'Einstein
est fondée sur la géométrie
différentielle.
- La stochastique (prononcer "stokastique") est la
théorie des phénomènes
aléatoires. Elle s'appuie sur le calcul des
probabilités introduit par Fermat
et Pascal
pour modéliser les jeux de hasard. Elle s'applique notamment
à l'étude des systèmes complexes et des
populations. La stochastique est le fondement de la statistique,
qui permet d'extraire des informations globales d'une masse de
données : texte, génome, image numérisée,
résultats d'enquêtes ou d'expériences ...
Ces quatre branches partagent un corpus de notions et de
méthodes, que l'on découpe habituellement en deux
grands chapitres :
- L'algèbre est la théorie
générale des
opérations qui apparaissent notamment en arithmétique et
en
géométrie. L'algèbre linéaire, qui
s'appuie sur le calcul vectoriel et matriciel, y occupe une
place
privilégiée,
ainsi que la théorie des équations algébriques
(ou polynomiales), qui est elle-même à l'origine
de deux notions
fondamentales des mathématiques : les nombres complexes
(ou imaginaires)
et les groupes. L'algèbre joue un rôle essentiel
en arithmétique
et en géométrie analytique, ainsi que dans deux
branches importantes
de la géométrie moderne : la géométrie
algébrique
et la topologie algébrique.
- L'analyse est la théorie générale des
suites, séries et
fonctions (réelles ou complexes). Elle s'appuie sur la topologie,
qui est une
théorie de la continuité, et le calcul
différentiel et intégral.
Elle étudie notamment les équations
différentielles (ordinaires
ou aux dérivées partielles) et les systèmes
dynamiques.
Elle est utilisée dans toutes les branches des
mathématiques, y compris
l'arithmétique. L'analyse harmonique (ou analyse de Fourier),
l'analyse fonctionnelle et la théorie des
opérateurs
constituent une synthèse de l'analyse et de l'algèbre
linéaire, qui joue un rôle fondamental dans les
applications de l'analyse, notamment en physique.
On peut aussi dire que l'algèbre est la science des égalités,
et l'analyse
celle des inégalités (c'est-à-dire des majorations
et des minorations).
À ces deux chapitres, il convient d'ajouter les trois
suivants, qui remontent à l'antiquité
mais dont le développement récent est lié à
l'émergence de l'informatique :
- La combinatoire est la théorie des structures
finies
(ou plus généralement, discrètes) telles
que les graphes,
les mots, ou les permutations. Le dénombrement de telles
structures est d'ailleurs le fondement
du calcul des probabilités.
- La logique (mathématique) est la théorie du
langage
mathématique et des démonstrations. Elle joue un
rôle clef dans le fondement des mathématiques. De
même que l'arithmétique et la combinatoire, la logique a
de nombreuses applications en informatique, par exemple en théorie
de la complexité algorithmique.
- L'algorithmique (mathématique) est la
théorie des
méthodes de calcul. On distingue le calcul formel (ou symbolique)
de l'analyse numérique : dans un cas, il s'agit de méthodes
exactes
à base de calcul algébrique, différentiel ou
intégral, et dans l'autre,
de méthodes approchées à base d'analyse
élémentaire
ou fonctionnelle.
Mathématiques pures ou appliquées ?
On oppose parfois les mathématiques pures (ou fondamentales)
aux mathématiques appliquées. Il existe en effet
deux sections distinctes au
Conseil
National des Universités (CNU) qui évalue le
travail des enseignants-chercheurs, la
seconde regroupant des domaines qui sont surtout étudiés
en vue des applications, comme la modélisation, les
équations différentielles, l'analyse numérique et
la statistique. Toutefois, ce découpage est artificiel :
même la théorie des nombres, qui semblait parfaitement
inutile, s'applique aujourd'hui au codage et au cryptage des
données. En fait, il y a dans chaque domaine des
mathématiciens qui sont plutôt intéressés
par les développements théoriques et d'autres qui le sont
par les applications. Les deux démarches sont
complémentaires.
Mathématiques pour quelles sciences ?
Depuis Galilée et Newton, les mathématiques entretiennent
une relation privilégiée avec la physique. De nombreux
concepts mathématiques, du calcul différentiel à
la théorie des opérateurs en passant par le calcul
matriciel, en sont d'ailleurs issus, et la branche la plus
théorique de la physique s'appelle physique
mathématique. Il existe
aussi un lien évident avec l'informatique qui a
été fondée par des mathématiciens
tels que Turing
et
von
Neumann. D'ailleurs,
l'informatique théorique est souvent
considérée
comme une branche des mathématiques.
Mais il existe bien d'autres interfaces fructueuses avec les sciences
de la nature, les sciences de l'ingénieur, et les sciences
humaines et sociales. Par exemple, la génomique
est un domaine typiquement pluridisciplinaire qui mêle biologie,
informatique et mathématiques. Notons aussi que le prix Nobel
d'économie est le seul qui fut jamais attribué à
un mathématicien (John Nash). Notons qu'au Centre National de la Recherche
Scientifique
(CNRS), les mathématiques ont été un temps regroupées avec la
physique, puis aussi avec l'informatique, mais maintenant, il existe un
Institut des sciences mathématiques et de leurs interactions.
Mathématiques discrètes ou continues ?
Les mathématiques discrètes
regroupent des domaines qui ne reposent pas sur la notion de nombre
réel (ou plus généralement, de continuité).
C'est le cas, par exemple, de la combinatoire, de la logique, et d'une
bonne partie de l'algèbre et de l'arithmétique. Certains
domaines, comme la
topologie combinatoire, sont difficiles à classer, mais
en gros,
on peut dire que les mathématiques continues s'appliquent
plutôt à la physique, et les mathématiques
discrètes à l'informatique. C'est pourquoi ces
dernières gagnent du terrain après avoir
été longtemps le parent pauvre des mathématiques.
Toutefois, l'analyse est aussi utilisée en informatique, ne
serait-ce que pour définir la notion de complexité
algorithmique. Quant aux mathématiques discrètes, elles
sont de plus en plus utilisées en physique, surtout depuis
l'avènement de la mécanique quantique.
Mathématiques ou mathématique ?
On a l'habitude de parler des mathématiques, mais
certains
préfèrent parler de la mathématique pour
insister
sur l'unité profonde de cette discipline. En effet, si le
mathématicien
contemporain, aussi brillant soit-il, ne peut plus prétendre
comme au XVIIe siècle à une connaissance
générale et approfondie de sa discipline, il existe
cependant un langage universel qui permet d'énoncer les
théorèmes de façon indiscutable et admise par
tous. De plus, les concepts les plus importants des
mathématiques
sont ceux qui sont communs à plusieurs domaines. C'est pourquoi
un groupe de
mathématiciens prestigieux, sous le pseudonyme de
Bourbaki,
a entrepris de rédiger un traité global des
mathématiques au
cours du XXe siècle.
Rigueur ou imagination ?
Pour devenir mathématicien, ou ne serait-ce que pour tirer un
réel profit de l'apprentissage des mathématiques, il faut
acquérir deux compétences : la rigueur (ou le raisonnement)
et l'imagination (ou l'intuition).
La première est la capacité de conduire correctement un
calcul ou une preuve. La seconde est celle d'associer des images
mentales aux différents concepts mathématiques pour se
les approprier et les manipuler (mentalement). Une certaine tradition
française a négligé cette dernière, plus
difficile à codifier et à transmettre que la
première, surtout dans le cadre de l'enseignement scolaire. Ceci
explique, dans une certaine mesure, la fâcheuse réputation
des mathématiques : pour la plupart de nos contemporains, elles
apparaissent comme une discipline abstraite et rébarbative,
voire complètement ésotérique.
Inventions ou découvertes ?
Comme les objets mathématiques tels que les nombres et les
structures algébriques n'existent que dans nos esprits, on
pourrait croire qu'il s'agit d'inventions des mathématiciens.
Pourtant, ceux-ci ont généralement l'impression de
découvrir des objets préexistants dans leur esprit ou
dans un monde idéal. C'est pourquoi on parle de
découvertes plutôt que d'inventions mathématiques.
Il arrive bien sûr que plusieurs
mathématiciens revendiquent la paternité d'une même
découverte : ce fut le cas pour Newton et Leibniz avec le calcul
différentiel. En principe, c'est la date de la première
communication publique (orale ou écrite) qui fait foi.
Jeunes ou vieux mathématiciens ?
On dit parfois qu'un mathématicien n'est plus créatif au
delà de la quarantaine. Cette légende est entretenue par
le fait que la médaille
Fields,
longtemps considérée comme la récompense
suprême à défaut d'un prix Nobel de
mathématiques, n'est attribuée qu'à des
mathématiciens de moins de 40 ans. Il est vrai que la jeunesse
est plutôt un atout dans une discipline où l'audace est
parfois plus payante que l'expérience : On cite souvent le cas
de Galois,
qui
mourut au cours d'un duel à l'âge de vingt ans
après avoir
fondé la théorie algébrique qui porte aujourd'hui
son nom, et qui fut d'ailleurs incomprise par ses contemporains au
début du XIXème siècle. Mais
on peut aussi citer de nombreux exemples de contributions majeures de
mathématiciens d'âge plus mûr. D'ailleurs, il existe
depuis 2003 un prix Abel,
qui récompense chaque année un ou plusieurs
mathématiciens
remarquables, sans limite d'âge !
Français ou anglais ?
La recherche scientifique se fait de plus en plus à
l'échelle internationale. Comme il existe une forte tradition
francophone en mathématiques, il est encore possible de publier
des articles en français, ce qui est presque impensable dans
d'autres
disciplines scientifiques comme la physique, l'informatique,
l'économie ou la biologie.
Mais le français n'est aujourd'hui compris que par une
minorité de mathématiciens dans le
monde, et la plupart des articles sont en anglais, langue qui joue
actuellement le rôle tenu par le latin jusqu'au XVIIIe
siècle. Il est donc important
d'acquérir une bonne maîtrise de l'anglais (parlé
et écrit) avant d'entreprendre un master ou, à plus forte
raison,
un doctorat en mathématiques.
Orient ou occident ?
Les mathématiques doivent beaucoup à l'héritage
grec, qui culmine avec les Eléments
d'Euclide,
mais il faut savoir que les Grecs ont été
précédés par les Egyptiens et les Babyloniens.
Ces derniers s'intéressaient aux calculs et aux algorithmes
plutôt qu'aux démonstrations. De plus, les
mathématiques
chinoises, indiennes et arabes ont joué un rôle
particulièrement important
au moyen âge. On retrouve d'ailleurs plusieurs mots d'origine
arabe en mathématiques,
comme algèbre (al jabr) et algorithme
(Al-Khwarizmi, mathématicien ouzbeck).
Femmes et mathématiques
En règle générale, les filles réussissent
plutôt mieux leurs
études scientifiques que les garçons. Elles sont
cependant relativement peu nombreuses à s'engager dans la
recherche, notamment en mathématiques. La situation est
toutefois plus favorable que par le passé. Une des plus grandes
mathématiciennes est
Emmy
Noether,
qui contribua aux fondements de l'algèbre moderne au
début du XXe siècle.
Notons aussi que la Société
Mathématique de France
(SMF) fut présidée pendant quelques années par une
mathématicienne (Marie-Françoise Roy).
Problèmes ouverts
En 1900, un congrès international rassemblait un certain nombre
de mathématiciens prestigieux. À cette occasion,
Hilbert
présenta une liste de problèmes ouverts,
c'est-à-dire non résolus à l'époque, et
qu'il considérait comme importants. Presque tous ces
problèmes ont été résolus depuis,
positivement ou négativement. Par exemple,
Gödel
a montré qu'il n'existait pas d'algorithme pour décider
(dans tous les cas) si un énoncé arithmétique est
vrai ou faux. Ceci explique d'ailleurs que l'arithmétique soit
un domaine aussi riche et complexe. En 2000, une liste de sept
problèmes ouverts a été publiée avec des
récompenses à la clef pour ceux ou celles qui sauraient
les résoudre (Clay
Millennium Prize).
Quelques notions de logique
- Un énoncé est une phrase
mathématique. Par exemple,
"Le nombre 3 est premier" et "Tout nombre premier est impair" sont des
énoncés. L'un d'eux est faux, mais c'est quand-même
un énoncé.
- Un axiome (ou postulat) est un
énoncé que l'on choisit comme
principe d'une théorie. Par exemple, "Par deux points distincts
passe une
droite et une seule" est un axiome de la géométrie
euclidienne.
- Une définition est un énoncé qui
donne
un nom à une notion ou à une propriété. Par
exemple : "Un nombre entier est pair
s'il est divisible par 2".
- Une démonstration (ou preuve)
est une déduction logique d'un énoncé à
partir des axiomes d'une théorie. Elle utilise des règles
bien codifiées, comme le modus ponens, le principe
de récurrence,
le tiers exclu.
- Un théorème
est un énoncé démontré, qui peut être
utilisé à son tour dans une démonstration au
même titre que les axiomes. Il est souvent de forme universelle,
c'est-à-dire valide pour toute une classe d'objets
mathématiques.
Par exemple, le théorème des 4 carrés
(démontré par Lagrange)
s'énonce ainsi : "Tout nombre entier est la somme de 4
carrés".
- Un théorème est dit trivial
si un lecteur normalement constitué peut en retrouver la
démonstration dès lors qu'il a compris
l'énoncé. Par exemple : "Tout multiple de 4 est pair".
Dans ce cas, la preuve est omise.
- Un contre-exemple est un cas qui contredit un
énoncé universel.
Par exemple, le nombre 2 est un contre-exemple (en fait, c'est le seul)
pour
l'énoncé
"Tout nombre premier est impair".
- Une conjecture est un énoncé que l'on croit
vrai mais qui n'est pas encore
démontré. Elle peut devenir un théorème ou
s'avérer fausse.
- Un lemme est un énoncé
démontré qui correspond à une
étape dans la démonstration d'un théorème
plus important.
- Un corollaire est un énoncé qui se
déduit facilement, voire
trivialement, d'un théorème ou d'une conjecture.
- Une hypothèse est un énoncé
supposé vrai dans le cadre d'une
démonstration. Par exemple : "Supposons que p soit un
nombre premier".
Une preuve par récurrence contient toujours une hypothèse
de récurrence.
Parfois, on utilise aussi "hypothèse" comme synonyme de
"conjecture".
Exemples d'applications des mathématiques
- Algèbre et arithmétique : codage et cryptographie
- Analyse de Fourier : traitement des images et du son
- Analyse et courbes fractales : évolution des cours de la
bourse
- Analyse hilbertienne et géométrie des groupes :
physique des particules
- Analyse numérique et équations aux
dérivées partielles :
simulation et prévisions météorologiques
- Calcul différentiel et systèmes dynamiques :
mécanique céleste et astronautique
- Calcul différentiel et probabilités :
théorie des jeux et économie
- Combinatoire des graphes : architecture des ordinateurs et
réseaux de télécommunication
- Géométrie euclidienne et groupes discrets :
cristallographie
- Logique : conception et vérification des logiciels ou des
circuits intégrés
- Singularités en géométrie : contrôle
et robotique
- Statistique : prévision des risques et assurance
- Statistique et combinatoire des mots : linguistique et
génomique
Quelques liens
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