Subsections

Dérivation des distributions

Le cas unidimensionnel

Les distributions constituant une généralisation des fonctions, la dérivation des fonctions, lorsqu'elle est bien définie (c'est à dire pour les fonctions à dérivée continue), doit être un cas particulier de la dérivation des distributions. C'est pourquoi il est utile de se placer tout d'abord dans le cas des distributions régulières, associées aux fonctions de .

Soit , et soit la distribution régulière associée. Soit la distribution régulière associée à . On a alors pour tout $ f\in{\mathcal D}({\mathbb{R}})$

où le terme tout intégré dans l'intégration par parties est nul car $ f$ est à support borné. Ceci suggère de définir la dérivée d'une distribution de la façon suivante:

On vient de voir que la dérivée de la distribution régulière associée à une fonction coïncide avec la distribution régulière de la dérivée de cette fonction. Qu'en est-il lorsque n'est plus régulière ? supposons par exemple que soit continûment différentiable, sauf en un point où elle admet une discontinuité de première espèce (c'est à dire que les limites à droite et à gauche de en existent, mais diffèrent). On notera

Calculons alors
$\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  

de sorte que l'on peut écrire

(5.13)

On dit alors que la dérivée au sens des distributions est égale à la dérivée au sens des fonctions, additionnée d'une distribution de Dirac localisée sur le saut, multipliée par la hauteur du saut. Plus généralement, on montre le théorème suivant, appelé règle d'or

EXEMPLE 5.7   On considère la fonction ``escalier'', ou partie entière

Cette fonction admet une discontinuité en tous les points entiers. Elle est localement intégrable, et définit donc une distribution régulière. Sa dérivée au sens des distributions vaut

Similairement, la fonction ``dents de scie'' admet comme dérivée au sens des distributions la fonction .

Dans d'autres situations, la dérivée d'une distribution régulière peut prendre une forme plus complexe. C'est le cas de la partie principale, que nous allons étudier plus en détails un peu plus bas.

Auparavant, notons la propriété importante suivante, qui généralise au cas des distributions une propriété utile dans le cas des fonctions.

Preuve: pour toute $ f\in{\mathcal D}({\mathbb{R}})$ , on a

ce qui démontre la proposition. $ \spadesuit$

Un exemple: la partie principale de

Considérons la fonction . Cette fonction est localement intégrable, et admet donc une distribution régulière associée . Cependant, sa dérivée usuelle n'est pas localement intégrable, et ne définit donc pas de distribution régulière. On peut toutefois calculer la dérivée de au sens des distributions.

Calculons, pour $ f\in{\mathcal D}({\mathbb{R}})$

Le point $ t=0$ nécessite un traitement particulier, on écrit donc

et on calcule, par exemple
$\displaystyle =$  
$\displaystyle =$  

De même,
$\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  

d'où on déduit

(5.14)

La distribution ainsi définie (dûe au mathématicien français Hadamard) est appelée partie principale de , et notée

Il s'agit d'une distribution non régulière (ce qui montre au passage que la dérivée d'une distribution régulière n'est pas nécessairement régulière).

Un calcul similaire permet de montrer que la dérivée de la partie principale est une autre distribution non régulière, appelée partie finie de (dûe aussi à Hadamard), donnée par

Le cas multidimensionnel

Dans le cas multidimensionnel, les opérations de dérivation partielle des distributions sont définies similairement au cas unidimensionnel, compme généralisations de la dérivation des distributions régulières.

Comme on l'a signalé, la dérivation des distributions régulières associées aux fonctions de classe coïncide avec la notion usuelle: soit . On voit facilement, par intégrations par parties, que dans ce cas

(5.15)

Le cas des fonctions présentant des discontinuités est quant à lui plus complexe, comme on va le voir sur l'exemple suivant.

EXEMPLE 5.8   Soit la fonction localement intégrable définie par

Calculons par exemple, pour
$\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  
  $\displaystyle =$  

car $ f$ est à support compact. Ainsi, on a

on retrouve ainsi la distribution de Dirac ``ponctuelle'' à l'origine.

EXEMPLE 5.9   Si nous considérons maintenant , un calcul similaire montre que pour toute fonction test ,

de sorte que

la distribution de Dirac associée au plan d'équation $ x=0$ , c'est à dire le plan .

On va maintenant s'intéresser de plus près aux cas bi et tridimensionnels.

Surfaces fermées dans

Considérons une courbe fermée différentiable du plan, définie par la paramétrisation

Cette courbe définit une surface fermée $ \Omega\subset{\mathbb{R}}^2$ , de bord différentiable (voir par exemple la FIG. [*], où un exemple de surface fermée convexe du plan est représenté).

Figure: Un exemple de surface bornée convexe dans , à bord différentiable.
Image surface

La dérivée en tous points de $ \gamma$ permet de définir un vecteur tangent à la courbe en tous points; on note la tangente à la courbe, normalisée de sorte que :

Dans le plan, la tangente suffit à définir le vecteur normal à la courbe, noté , que l'on choisit orienté vers l'extérieur.

Soit maintenant , telle que soit continûment différentiable partout sauf sur $ \partial\Omega$ , où elle admet une discontinuité de première espèce. On notera, pour

est la limite de quand par l'extérieur, et une définition similaire pour .

Considérons par exemple la dérivation partielle par rapport à la coordonnée $ x$ , et étudions ce qui se passe le long d'une droite d'ordonnée $ y$ . Lorsque cette droite n'intersecte pas le domaine $ \Omega$ , la dérivée au sens des distributions est égale à la dérivée au sens des fonctions. Lorsqu'elle la droite d'ordonnée $ y$ (représentée en petits tirets sur la FIG. [*]) intersecte $ \Omega$ , on notera et les abscisses respectives des deux points où elle intersecte $ \partial\Omega$ (on a choisi un exemple convexe, il n'y a donc que deux points d'intersection). Le long de cette droite, est continûment différentiable par rapport à $ x$ partout sauf en et .

Calculons pour tout ,

$\displaystyle =$  
     
     
  $\displaystyle =$  
     
  $\displaystyle =$  

où on rappelle que la distribution de Dirac sur une courbe $ C$ du plan est définie par


Ce calcul ne fonctionne que dans le cas particulier d'une surface convexe. Plus généralement, on montre le théorème suivant

Pour une fonction localement intégrable vectorielle , notons la distribution régulière (vectorielle) correspondante.

On peut appliquer le théorème précédent au gradient d'une distribution: étant donnée , continûment différentiable partout sauf sur $ \partial\Omega$ où elle admet une discontinuité de première espèce, on a

(5.16)

Dans cette équation, est une distribution régulière scalaire, son gradient est une distribution vectorielle, et est également vectorielle.

Domaines fermés dans $ {\mathbb{R}}^3$

Passons maintenant au cas tridimensionnel. On considère une surface différentiable de l'espace, définie par une application différentiable

Figure: Un exemple de domaine borné de , à bord différentiable: le tore

Un exemple de telle surface se trouve en FIG. [*]. Comme dans le cas bidimensionnel, la différentiabilité de la surface permet de définir en tout point de la surface non plus une tangente, mais un plan tangent, caractérisé par les deux vecteurs unitaires

et une normale extérieure unitaire à la surface , perpendiculaire à et .


On définit la distribution de Dirac associée à la surface de la façon suivante: étant donnée ,

On peut alors montrer le résultat suivant:

Comme application, on peut s'intéresser aux trois opérateurs de dérivation classiques: gradient, divergence et rotationnel. Avec les mêmes notations que ci-dessus, le théorème peut s'écrire

(5.17)

où on a noté la distribution vectorielle dont les trois composantes sont les dérivées partielles de .

Soit maintenant une fonction vectorielle pour satisfont les conditions ci-dessus. On note la fonction vectorielle décrivant les sauts des trois composantes de sur le bord $ \partial\Omega$ .

Alors

(5.18)

EXEMPLE 5.10   Les équations de Maxwell au sens des distributions: Dans la même situation que ci-dessus, c'est à dire en présence d'un domaine $ \Omega$ de bord différentiable $ \partial\Omega$ , considérons l'équation de Maxwell

Supposons l'existence de densités de charge et de courant superficielles sur $ \partial\Omega$ seulement (pas de densité volumique). En considérant les champs et comme des distributions, écrivons ces équations au sens des distributions:

ce qui en appliquant la règle d'or conduit à

La composante ``volumique'' de cette équation (c'est à dire ne faisant pas apparaître de distribution superficielle ) redonne l'équation de Maxwell précédente. Par contre, l'équation superficielle conduit à

c'est à dire à l'égalité des composantes tangentielles du champ électrique à la frontière du domaine.

De même, supposant l'existence d'une densité superficielle de courant sur $ \partial\Omega$ , et écrivant au sens des distributions

ce qui en s'eparant la partie volumique de la partie superficielle, donne l'équation de Maxwell classique

ainsi que la condition de raccordement du champ magnétique à la frontière, c'est à dire la discontinuité des composantes tangentielles de :

Passons aux équations à la divergence, et supposons l'existence d'une densité superficielle de charge $ \rho$ sur $ \partial\Omega$ . En écrivant au sens des distributions

on aboutit à l'équation classique pour la partie volumique

ainsi qu'à la condition de raccordement

qui spécifie donc la discontinuité de la composante normale de l'induction électrique. De même, en utilisant la dernière équation

on obtient la continuité de la composante normale de l'induction magnétique.

Ainsi, l'écriture des équations de Maxwell au sens des distributions permet d'unifier le traiteent des équations elles-mêmes et des conditions de raccordement.

Bruno Torresani 2007-06-26